La visite du pape, entre
Iumières et feux d’artifice
Abbe François-Marie Chautard
Les appareils photographiques étant rangés dans leurs étuis, la multitude de petits drapeaux s’étant envolés au fond des greniers et l’enthousiasme fébrile des foules s’étant refroidi au contact du krach boursier, on peut maintenant revenir sereinement sur la visite du pape en France. Beaucoup de catholiques ont été heureux, fiers même, de voir cette blanche silhouette occuper le premier plan de la scène française, et visiter la fille ainée de l’Église. D’aucuns ont vibré devant l’appel du pontife à fuir les idoles du monde moderne, d’autres se sont émerveillés de l’hommage rendu à la Vierge de la grotte, d’autres enfin se sont félicités de lire ces reproches à peine voilés que le Pasteur fit aux évêques de France. Enfin, cesderniers étaient obligeamment mais hardiment semoncés !
Et pourtant… Un certain malaise, un sentiment voisin de la déception s’est emparé de leurs esprits. A la réflexion, ils attendaient du pape une ferme remise en cause des erreurs modernes, un revirement net de positions passées. Ils espéraient également la célébration de la messe de toujours. Ce revirement ne s’est pas produit et le missel tridentin est resté fermé. Dès lors, on s’interroge et l’on se demande en quelle part il faut prendre cet événement. Que s’est-il donc passé pour que retombent tant de belles espérances ? A notre avis, et cela jette une lumière sur cette visite, il faut la replacer dans le cadre de ce pontificat. Elle en est comme un instantané, en particulier sur les questions tant liturgiques que doctrinales. Revivons, pour nous en apercevoir, ces journées des 12, 13 et 14 septembre.
La liturgie papale à Paris et à Lourdes
On ne s’attendait sans doute pas à une messe tridentine dans le fief du digne successeur du cardinal Lustiger. Mais à Lourdes… On avait imaginé, espéré, affirmé que le pape y célébrerait la messe traditionnelle. Le pape s’y est rendu, la messe traditionnelle y a été attendue mais le rite de toujours n’est pas venu… Alors, à défaut d’avoir la messe de toujours, on a eu cette messe Paul VI. Plus pieuse, plus recueillie qu’à l’accoutumée, mais toujours bâtarde… On s’est néanmoins et tristement consolé avec l’utilisation du Canon I. A ce propos, il semble que la déception occasionnée conduise à tomber dans une indulgence inconsidérée. Rempli d’espoir, on présente Benoit XVI comme « le » restaurateur de la liturgie traditionnelle mais l’on ne s’étonne nullement que le pape du Motu proprio n’ait jamais célébré la messe dite tridentine depuis qu’il est sur le trône de Pierre. On dira qu’il n’est pas maitre de ses actes, ne peut dire l’ancienne messe. A vrai dire, ce raisonnement apparaît bien léger ou plutôt, et c’est plus grave, désespérant. Car si le pape luimême n’a pas la liberté de reprendre l’ancienne messe, comment pourrait-il être le héraut du retour à une messe qu’il ne peut célébrer ? Quelle étrange réalité qu’un pape en liberté, qui n’aurait ni le droit ni même le pouvoir de dire la vraie messe… Mais alors, à qui demander la permission ?
Jadis, lorsqu’un évêque ou un cardinal dit conservateur ne disait pas la messe, on expliquait d’une manière bienveillante qu’il ne faisait pas tout ce qu’il voulait puisqu’il n’avait pas l’autorité suprême. Et maintenant, quand le pape ne dit pas la messe traditionnelle, on dit qu’il ne peut pas la dire parce qu’il n’en a pas le pouvoir… Non, écoutons ses propres paroles, et ne nous pas laissons pas aveugler par une excessive bienveillance. Si le pape ne dit pas l’ancienne messe, c’est qu’il n’est convaincu ni de la malice de la nouvelle, ni de l’incomparable richesse de l’ancienne. Pour s’en convaincre, il suffit de lire, non ce qu’on lui prête comme intention, mais ce qu’il en dit, ou plus exactement ce qu’il a déclaré sur le Motu proprio. Suivons attentivement ces propos (prononcés dans l’avion qui le conduisait en France), car ce sont les siens et de surcroit les premiers et donc les seuls que le pape ait prononcés jusqu’ici sur le Motu proprio :
« Que dites-vous à ceux qui, en France, craignent que le Motu proprio Summorum pontificum marque
un retour en arrière sur les grandes intuitions du Concile Vatican II ? Comment pouvez-vous les
rassurer ?Benoit XVI : C’est une peur infondée parce que ce Motu proprio est simplement un acte de tolérance,
dans un but pastoral pour des personnes qui ont été formées dans cette liturgie, l’aiment, la
connaissent, et veulent vivre avec cette liturgie. C’est un petit groupe [...] c’est clair que la liturgie
renouvelée est la liturgie ordinaire de notre temps ».
Notons bien le terme « tolérance », cela nous servira de commentaire. Si la signification exacte de ce mot désigne le fait de supporter un mal qu’il n’est pas opportun ou possible de supprimer, ce mot est employé aujourd’hui comme le respect d’une opinion, mais, d’une opinion qui n’est pas la sienne, opinion que l’on admet néanmoins comme défendable au même titre que bien d’autres, opinion enfin qui, quoique soutenable, n’est pas admise comme certaine. Quel que soit le sens employé, les deux sont incompatibles avec un quelconque désir de restaurer véritablement le rite tridentin.
Ses sermons
Nous fûmes heureux d’entendre un pape stigmatiser les maux de notre temps et les idoles du monde moderne.
Plaise à Dieu qu’un tel message soit retenu de la jeunesse !
Par ailleurs, nous fûmes également satisfaits d’entendre un pape s’exprimer sur la recherche de Dieu que notre
société ne devait pas ignorer. C’est heureux, mais, à la réflexion, y a-t-il ici de quoi justifier un rare
enthousiasme ? La encore, et sans vouloir jouer au trouble-fête, n’est-il pas insolite qu’on en vienne à applaudir
le pape quand ce dernier parle de Dieu ? Pourquoi donc applaudir, crier au prodige, clamer sur les toits la
restauration de l’Église quand un pape se met à parler de Dieu ? Cela n’est pas sérieux et explique ce malaise
que nous signalions au début. Comme un feu d’artifice dont les lumières retombent en poussières,
l’enthousiasme s’éteint faute d’authentique avancée. Du reste, et c’est tout le drame du pape actuel : il veut que
l’on parle de Dieu mais non que Dieu règne sur la société.
Le discours a l’Élysée
De nouveau, et c’est l’aspect le plus regrettable de cette visite, nous nous étonnons. Le président Sarkozy loue les racines chrétiennes et Benoit XVI applaudit à la « laïcité positive » qui n’est autre que le découronnement positif de Notre-Seigneur. Nous venons à nous demander s’ils ne se sont pas trompés de discours en s’échangeant leurs documents…
Citons la encore quelques paroles du Saint-Père :
« L’Église en France jouit actuellement d’un régime de liberté. La méfiance du passé s’est transformée
peu à peu en un dialogue serein et positif, qui se consolide toujours plus. Un nouvel instrument de
dialogue existe depuis 2002 et j’ai grande confiance en son travail, car la bonne volonté est réciproque.
Nous savons que restent encore ouverts certains terrains de dialogue qu’il nous faudra parcourir et
assainir peu à peu avec détermination et patience. Vous avez d’ailleurs utilisé, Monsieur le Président, la
belle expression de « laïcité positive » pour qualifier cette compréhension plus ouverte. En ce moment
historique ou les cultures s’entrecroisent de plus en plus, je suis profondément convaincu qu’une
nouvelle réflexion sur le vrai sens et sur l’importance de la laïcité est devenue nécessaire ».
D’ailleurs, à propos de cette société française, le pape n’a pas caché son admiration pour ces grands hommes qui ont joué un rôle de premier plan dans son édification. Le Pape a su les reconnaitre. Voici ses paroles :
« Je ne peux omettre, en une occasion comme celle-ci, de mentionner le rôle éminent joué par les Juifs
de France pour l’édification de la Nation tout entière ».
Jadis, on apprenait que les rois avaient fait la France. Puis Chirac est venu nous enseignant les racines islamiques de la France. Maintenant, le pape nous parle du rôle éminent des juifs dans la fondation de la Nation française.
De Charybde en Sylla ou d’Yvonne en Carla
Même Carla Bruni s’est prêtée à cet étrange paradoxe. En tenue impeccable, elle a accueilli le pape en première dame de France, fière de recevoir le Père des chrétiens. Seule ombre au tableau, cette créature au passé si léger, est présentement la concubine du président… Alors, on s’étonne de voir un pape accepter cette réception — officiellement privée et néanmoins notoire — d’un couple vivant en concubinage. Les photographes, trop heureux d’une telle aubaine, s’en sont donné à coeur joie et se sont empressés de fixer pour la postérité l’image d’un pape souriant encadré de chaque côté par de très officiels concubins. Abasourdi, on se remémorera le passé et l’on se demandera où est le temps de Clément VII excommuniant Henry VIII ou naguère, et sur un autre registre, celui de « Tante Yvonne » qui n’acceptait pas à sa table des divorces remariés. Ah, serait-on tenté d’écrire, ou sont les Anne-Aymone et les Bernadette qui savaient au moins tenir leur rang…
Si l’on se rappelle que le mauvais exemple est d’autant plus pernicieux qu’il vient de plus haut, on ne songera donc pas à céder à un optimisme médiatique bien peu fonde…
Les marques du pontificat actuel
C’est pourquoi cette visite nous apparait comme un instantané du pontificat actuel.
Dieu merci, les excentricités liturgiques des cérémonies pontificales sont beaucoup moins fréquentes que naguère. Les danseuses se font plus rares à l’autel que du temps de Jean-Paul II, le tam-tam se fait moins entendre et le mobilier liturgique utilisé, vases sacrés compris, devient très convenable. Hélas, la liturgie reste celle de Paul VI, pauvre, fade, tiède.
La prédication est pieuse, didactique, adaptée au monde d’aujourd’hui… comme d’ailleurs il arrivait à Jean-Paul II de savoir le faire avec toutefois davantage de charisme ; mais la doctrine reste pétrie de libéralisme comme en témoigne le discours affligeant et scandaleux de l’Élysée.
Les évêques sont certes doucement admonestés mais les ordres clairs et les mesures concrètes ne sont pas donnés.
En somme, c’est un pontificat qui suit les traces de son vénéré prédécesseur mais avec davantage de pondération et de mesure.
On continue de suivre la pente moderniste mais au lieu d’y courir, on y marche d’un pas mesure, presque solennel, un pas, dirait-on, de sénateur, ou mieux, de chanoine.
On continue de prêcher les erreurs modernes, libérales, modernistes, mais on les dit gravement, et qui plus est, en latin. On va même jusqu’à proclamer haut et fort que l’on n’a rien change à la Tradition, que le noyau dur de celle-ci n’a pas varié… mais l’on ne nous dit pas quel est ce noyau dur qui est resté le même ; et l’on continue de célébrer les gloires d’un concile destructeur. On remet la croix au centre de l’autel mais on visite les mosquées. On accepte de discuter avec les « intégristes d’Écône » qui sont officiellement excommunies, mais on invite les rabbins à enseigner les évêques7. On insiste sur les droits de l’homme, mais l’on récuse les droits régaliens de Jésus-Christ.
Le revers et l’avers…
Des lors, nous ne sommes pas convaincus de l’attachement du souverain pontife à la Tradition bimillénaire de l’Église.
Cependant, beaucoup de gens le croient, dans la Tradition comme ailleurs. A notre avis, cela est globalement bon pour le commun des fidèles de l’Église conciliaire. L’idée d’un certain retour à la Tradition fait son chemin dans les esprits, d’un retour plus étendu à la messe et à la doctrine traditionnelle. Cette Tradition est moins perçue comme le partage des rétrogrades et des gens dépassés. Le terrain s’ouvre à l’acceptation de principe de ce retour. Voila pour l’avers.
Mais voici le revers : si l’on retourne le problème, on risque de se méprendre sur ce retour et de prendre pour un retour à la Tradition ce qui n’en est que le vernis, l’illusion, l’artifice. Et si l’avers concerne les fidèles de l’Église conciliaire, le revers pourrait bien nous concerner…
Dès lors, notre conclusion sera la même aujourd’hui qu’hier. II faut continuer invariablement à se sanctifier dans cette crise de l’Église, a tenir toute la foi, sans lâcher un iota ni de celle-ci ni de notre si bonne liturgie.
Et ne pas se laisser éblouir par d’éphémères lumières somme toute secondaires. Le désir légitime de la paix, de la bonne entente, ne doit pas céder le pas au véritable attachement au souverain Pontife qui n’est autre que l’expression de notre attachement à Celui dont il est le vicaire, Jésus-Christ. Ce n’est qu’au moment où le vicaire du Christ rendra à Jésus-Christ sa véritable royauté que nous pourrons enfin jouir du bien de la paix et de l’entente retrouvée.
D’ici-la, notre devoir est de tenir jusqu’a ce qu’enfin, un vrai jour se lève ou toute l’ombre d’un doute soit dissipée et que l’on puisse glorifier Dieu d’un net retour à la Tradition.